Vieira Da Silva

                                                                                                                                        Décembre 2021

Vieira Da Silva

Ou comment aménager ses forces et ses faiblesses

Curieuse personnalité que celle de Vieira Da Silva, pétrie de forces et de vulnérabilités, de fragilités et de défenses pour s’en affranchir.

L’on est frappé par la légèreté de son écriture, sa pression inégale et un peu sèche. Cela implique un certain détachement vis-à-vis des activités pragmatiques de la vie quotidienne et par contre une attirance pour les sphères de l’intellect, vers une recherche d’idéal et d’absolu, vers une ambition de réussir et de se surpasser (axe vertical d’une écriture simplifiée, bâtonnée, combinée, aux lettres surélevées).

Elle se retrouve parfois peu satisfaite d’elle-même, ce qui la conduit à un perfectionnisme  méticuleux.

Son intuition la guide pour choisir ce qui lui convient le mieux. Elle sait donc aménager son temps, s’organiser (marges respectées, espaces réguliers entre les lignes), créer un cadre dans lequel évoluer, s’économiser pour ne pas être débordée par la fatigue, ses réserves de forces et d’énergie étant limitées.

Par ailleurs voilà une écriture spontanée, rapide, simple, à la zone médiane plutôt grande, poussée par la volonté d’agir, d’aller de l’avant.

Ces observations laissent augurer des relations ouvertes et faciles entre Vieira da Silva et ses interlocuteurs. On est donc étonné de trouver, dans les lettres de la zone médiane de son écriture, des oves ayant perdu toutes leurs rondeurs et réduits à l’état de fil vertical (les o et les v du mot ‘’pouvoir’’, 3 lignes avant la fin du texte).

Comment l’expliquer ?Là encore Vieira Da Silva connait ses limites et trouve un antidote pour ne pas se laisser happer (entrainer) par une sensibilité à fleur de peau (visible dans les inégalités multiples et en tous genres). Elle met en place (consciemment ou non, mais efficacement) un système de défense en choisissant une mise à distance dans ses relations aux autres, un isolement relatif plutôt qu’un éventuel débordement sentimental (très grands espaces entre les mots). D’où cette austérité affective, cette sélectivité malgré une sensibilité fine et aiguisée.

Que peut-on dire de la volonté d’agir, de construire une œuvre, de cette femme que l’on constate plutôt fragile ?

Que remarquer encore dans cette écriture ? que les angles et les petits crochets sont bien plus nombreux que les courbes et les rondeurs ; que les barres de t sont affirmées et aiguisées comme des petites flèches ; que de nombreux mots se terminent en s’affinant (heureuse, ligne 1), que les lettres sont souvent liées les unes aux autres à l’intérieur d’un mot, que de nombreuses lettres sont surélevées (dépassant la zone qui leur sont normalement attribuées, par exemple les j, v, m, p) .

On découvre là un nouvel aspect de cette personnalité, quelqu’un de combatif et tenace, à l’esprit critique mordant. Consciente de sa valeur, soucieuse de le faire savoir, peu influençable,  elle sait tout à fait dans quelle direction mener sa vie. 

Voilà donc une écriture déroutante, personnelle, originale, que l’on peut qualifier d’idiosyncrasique, c’est-à-dire décrivant une personne ayant ‘’l’aptitude innée à réagir par un comportement qui lui est parfaitement personnel ‘’.

En pharmacologie, l’idiosyncrasie est la disposition particulière d’un individu à répondre à un traitement. Le transfert de ce mot en psychologie décrit le même phénomène.

Dans les limites qu’elle s’est fixées elle arrive à unifier et aménager les contraires, les faisant harmonieusement cohabiter entre rigueur et détachement.

La présence attentive et constante à ses côtés de son mari Arpad Szénés , lui-même artiste peintre, n’est sans doute pas étrangère à cet aménagement des contraires qui ont permis à Vieira da Silva de mener dans l’harmonie et sa vie et son œuvre.

D’une fragilité peut naître une force.

Pour peu que l’on soit mû par la volonté acharnée de construire.

Pour peu que les perceptions affinées et subtiles entre en résonnance avec une intuition créatrice.

Pour peu que l’on soit secondé, encouragé, soutenu par un environnement affectif attentif

Cela fait beaucoup.

Cela fait une œuvre.

                                                                                                                      Viviane Bloch

                                                                                                                      Décembre 2021

Voir sur internet : ‘’Maria Helena Vieira da Silva – Musée des beaux- arts de Dijon’’

À l’occasion des trente ans de la disparition de l’artiste, exposition en 2022 à Dijon et Marseille

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *